Wednesday, December 5, 2012

DES CHÔMEURS ET DES HOMMES



Le nombre de chômeurs a été plus bas au mois de mai 2012 qu’il ne l’était le même mois de l’année dernière; c’est la bonne nouvelle. La mauvaise nouvelle est que, malgré cette baisse, les chômeurs se comptent encore par centaines de milliers (environ 691 milles). Les diplômés universitaires (voir composition dans la figure 1) représentent le quart de ce nombre, soit environ  175 milles. Diplômé ou pas, le chômeur se trouve généralement sur une trajectoire qui, avec le temps, mène à ‘la trappe à chômeurs’ dont il est difficile de sortir. Une fois pris, Il est facile d’y rester des décennies entières, sinon le reste de la vie active. Des histoires de vies gâchées de citoyens âgés de quarante ou cinquante ans qui n’ont jamais travaillé ont pu être entendues par tous ceux qui y ont sérieusement prêté l’oreille depuis janvier 2011.

Figure 1

Au-delà du caractère urgent de la question du chômage aujourd’hui, je pense qu’il vaut mieux  passer un peu de temps à réfléchir sur les raisons du chômage d’hier et sur des solutions durables pour l’emploi de demain. Car malgré l’immensité de la tâche immédiate, le problème du chômage, est en ce jour, beaucoup plus aisé à résoudre qu’il ne le sera dans le futur. Les 691 milles personnes au chômage au mois de mai 2012, représentent  17% de la population active
qui s’élève à 3,9 millions de personnes, (occupées ou au chômage âgées de 15 ans et plus. Définition de l’INS). Or ce chiffre ne représente qu’environ la moitié  des  8,2 millions de personnes en âge d’activité (toutes les personnes âgées de 15 ans et plus). La différence entre les deux mesures, soit 4,3 millions constitue l’effectif de la population inactive. Celle-ci  inclue, en particulier, plus de 3,3 millions de personnes qui fréquentent des établissements d’enseignement dont plus de 300 milles à l’université. Ainsi, l'accès d’un plus grand nombre de personnes en âge d’activité au marché du travail dans le futur  est un évènement  inéluctable, naturel, et auquel il va falloir se préparer. Mais si le pays continue sur la même lancée, et lorsque trois ou quatres millions de personnes additionnelles accèderont au groupe des actifs, c’est à ce moment là que les problèmes sérieux commenceront. 
Figure 2


Alors, aujourd’hui il est aussi urgent de réfléchir sur le problème immédiat que sur les solutions au problème futur. Je dirais même que toute la réflexion doit se faire dans une perspective de long terme; les solutions à court terme ne faisant que reporter et aggraver le problème. Pour s’en convaincre, il suffit d’évaluer l’impact du programme Amel. La réflexion devra ainsi nécessairement porter sur des solutions durables; des stratégies  (en éducation, santé, aménagement du territoire, industrie, agriculture, etc.) cohérentes où l’État devra jouer, en général, le rôle de coordonnateur et dans certains cas de défaillance des mécanismes de marché, le rôle de catalyseur ou de promoteur. D’où l’importance de définir des principes (simples)  pour guider l’action de l’État dans ce sens.  Quand nous aurons tous participé à cet exercice et après avoir réussi à définir, sur papier, les grandes lignes et suffisamment de détails de Notre demain, il deviendra possible de créer des centaines de milliers d’emplois chaque année sur une longue période, et permettre aussi de résorber le chômage actuel.

Pour comprendre les origines du problème, il va falloir revenir brièvement sur l’histoire pour répondre à deux questions fondamentales : (1) pourquoi est-ce que le Pays ne réussit-il pas à faire travailler un relativement petit nombre de personnes qui veulent travailler? et (2) comment faire pour que le Pays soit capable de faire travailler (dans un horizon raisonnable) le double du nombre de personnes aujourd’hui actives?

Je pense que les raisons de l’échec (historique) en matière de création d’emplois, se trouvent au niveau de l’État, de ses politiques, façonnées par ses propres intérêts et ceux de ses fonctionnaires, et dans la nature de la classe d’entrepreneurs que l’État et ses politiques ont favorisé durant les cinquante dernières années. Il est évident qu’en dernier ressort, ce sont les entrepreneurs qui créent les emplois, et que si un pays n’a pas (ou pas assez) d’entrepreneurs, il devra en créer (en nombre suffisant). Malheureusement (pour nous), la majorité des entrepreneurs que l’État a créé de toutes pièces, depuis les années 1960, à coût de subventions, de protection, d’accès facile au crédit, d’incitations monétaires et autres formes d’assistance publique, ont lamentablement failli à la tâche et sont aujourd’hui incapables de survivre dans un marché concurrentiel. Ils se sont certes  enrichis rapidement, (peut-être), mais facilement, (sûrement), sans rien donner en retour à leurs concitoyens. L’État a ainsi, avec l’intention de créer une classe de créateurs de richesse et d’emploi, a fini par s’accommoder d’une nouvelle classe d’assistés ‘sociaux’. Tous les mécanismes de subventions à la consommation, à la production, et autres ne visaient alors qu’à permettre en dernier ressort à des entrepreneurs inefficaces de continuer leurs activités.  Ils nous ont coûté cher par unité et ils n’ont pas créé de bons emplois (ceux durables qui paient bien), et dans tous les cas pas en nombre suffisant (par exemple : nous avons 5711 compagnies industrielle qui emploient 511 milles personnes, et 2595 compagnies de services qui emploient 38,8 milles personnes. Chiffres API). Même que certains sont passés maîtres dans l’art de traire l’État à tous les coins de rues. Si bien que les hôteliers par exemple, qui prétendent maintenir 1,5 millions d’emplois directs et indirect (soit dit en passant c’est environ 40%  de la population active de la Tunisie), essayent, depuis janvier 2011, de forcer la main au gouvernement pour éponger leur dette collective auprès des banques qui s’élève à 3000 millions de dinars.


Que les entrepreneurs aient failli n’est pas étonnant. Car vous ne pouvez pas raisonnablement attendre d’un athlète qui a été entrainé à courir le 100 mètres avec des béquilles de battre des records. De même, un projet qui, sans subventions (et autres formes d’assistances), n’est pas économiquement viable, ne peut le devenir même si l’État en décide autrement. Dans un tel cas, le projet peut en effet être une excellente affaire pour le promoteur mais il n'en demeure pas moins qu’il constitue une mauvaise affaire pour la société. Il est désormais connu de tous que ‘there is no such thing as a free lunch’: dans ce contexte, si un projet est lancé ou maintenu en activité malgré qu’il ne génère pas une valeur ajoutée positive (calculée aux vrais coûts des facteurs) c’est qu’il y a quelqu’un dans la société qui paye pour la différence. Or le quelqu’un c’est, aujourd’hui, nous (chômeurs, travailleurs mal payés et payeurs d’impôt) et demain, nos enfants (payeurs de la dette que nous avons contractée pour payer les ‘free lunchs).

Plus tard, quand nous aurons trouvé notre chemin, Il faudra probablement collectivement décider s’il serait opportun de faire le compte avec ces ‘promoteurs’, et de réclamer le remboursement (au moins) des subventions directes reçues. Un remboursement échelonné ne me dérangera personnellement nullement. Mais nous n’en sommes pas encore là.

Aujourd’hui, le monde a changé! Et il va falloir changer avec le monde, sinon le devancer sur de nouvelles voies, si nous voulons continuer d’exister. La Tunisie a besoin d’une nouvelle génération d’entrepreneurs (socialement) responsables, capables d’innover et d’anticiper le futur et surtout de créer un grand nombre de bons emplois (durables et qui payent de bons salaires). Nous avons besoin de nouveaux leaders par milliers qui vont porter l’économie à un niveau supérieur d’activité permettant aux tunisiens d’accéder à un niveau de revenu qui leur permettent de se consacrer à l’essentiel : vivre, et surtout vivre heureux!

Or comme notre système éducatif  (et là c’est vraiment une autre histoire), ne favorise pas la production de leaders, il va falloir (en attendant une réforme du système éducatif) encore une fois que l’État le fasse. Il y a certes le risque de  reproduire les mêmes résultats des politiques suivies en la matière depuis les années 1960, mais un ‘État averti en vaut deux’. Cette fois ci il faudra que l’échange soit plus égal; du donnant donnant.  Je pense donc que les principes suivants devraient être considérés dans la définition du rôle de l’État pour favoriser la création d’une nouvelle classe d’entrepreneurs : (1) toute subvention, prime, incitatif ou autres avantages ne devraient être accordés que pour aider à résoudre le problème naturel de liquidités en phase démarrage de projets. (2)  La totalité des montants ainsi avancés devront être remboursés sur une période raisonnable après la fin de cette phase. (3) Un projet qui ne peut pas passer, sur papier, le test de la rentabilité (sans ces subventions) ne devra bénéficier d’aucune forme d’aide de l’État. L’entrepreneur est libre alors de risquer son propre argent….mais il ne la fera pas. (4) Le suivi et l’évaluation périodique de toute action devra permettre de consolider celles qui progressent au rythme souhaité vers les objectif établis et d’arrêter les actions qui ne le sont pas. (5) Pour chaque programme, une stratégie de sortie devra être définie au préalable et devra être, sans hésitation, mise en œuvre dès que les conditions de sortie (de l’État) sont réunies.

Il faudra aussi des idées par milliers pour résorber le chômage. La multiplication d’actions directes (et cohérentes) de l’État dans le cadre des principes mentionnés plus haut devra permettre une meilleure gestion du risque d’échec.  Dans tout cela, l’imagination est le carburant du processus de remise en marche de la machine de l’emploi. Einstein disait à juste titre ‘Imagination is more important than knowledge’. Malheureusement l’imagination est ce qui semble manquer en ce moment (je ne dirais rien du savoir pour l’instant). L’autre jour (voir vidéo à partir de minute 5:38), j’ai entendu le ministre de l’emploi dire qu’il avait consulté des associations, des universitaires, des partis politiques, des syndicats (incluant le patronal), des experts, sans pouvoir en tirer ne serait-ce que le début d’une idée de solution au problème du chômage.

Le ministre n’a peut-être pas frappé à toutes les portes, mais il a certainement mis le doigt sur un réel problème, à savoir le grave déficit de nouvelles idées. Le problème est là et il faudra d'abord le comprendre pour pouvoir le résoudre. En effet, ceux qui sont actuellement au-devant de la scène étaient (d’une façon ou d’une autre) là depuis longtemps;  leur façon de voir les choses est limitée par leur propre vécu, lui-même façonné par les années de dictature, qui leur a permis de développer des compétences certaines dans la résistance (à la dictature) ou de cohabitation (avec la dictature) mais peu de compétences dans les questions reliées au développement d’une nation. C’est pour cette raison que nous n’avons que des débats politiques à la télévision, à l'assemblée constituante, dans les cafés et même autour du diner…comme disait l’autre : matin, après-midi et le dimanche. Alors, quand le ministre de l’emploi fait le tour, il est normal qu’il ne puisse ramasser que des critiques et peu ou pas d’idées constructives. Le gouvernement actuel n’a pas fait preuve de grande imagination non plus. Il me donne même l’impression de s’organiser comme un groupe fermé dont l’attention et l’oreille sont (presqu’exclusivement dans certains cas) prêtées aux gens de confiance. Or le Pays a besoin de compétences, et de plus d’ouverture aux nouvelles idées. Ceci aurait probablement permis (et la aussi c’est une autre histoire) de ne pas vendre la société Ennakl à un consortium de vielles figures du monde des affaires tunisien, ni de vendre (12%) de la Banque de Tunisie à un obscur fonds étranger.
Je n’ai pas parlé du rôle (historique) des fonctionnaires, car leur rôle futur peut être façonné par la volonté du gouvernement.

Ce texte est une introduction à une série d’articles (qui suivront prochainement) consacrés à des projets spécifiques qui permettent de créer quelques dizaines de milliers de bons emplois. Ces projets ont en commun les caractéristiques essentielles suivants (et dans tous les cas au moins les éléments 1, 2, et 4):
1.      Le projet doit être productif, c’est-à-dire qu'il crée un produit (un service ou un bien)
2.      Le produit (bien ou service) envisagé répond à un besoin réel sur le marché local;
3.     Le produit utilise (en majorité) des intrants d’origine locale;
4.     La production est intensive (directement ou indirectement) en facteur humain (les chômeurs)
5.      Un coût de création d’emploi (investissement/nombre d’emplois) raisonnable;
6.     Le développement d’une expertise dans le produit permettra dans une étape ultérieure d’exporter le savoir-faire sinon le produit lui-même.


No comments:

Post a Comment