JADIS, MON PÈRE ÉTAIT POLICIER…

Quand j’étais enfant, je croyais que tous les policiers étaient amis de mon père, lui aussi alors policier…. Un jour d’été de mes quatre ans, j’ai accouru vers lui, sans y réfléchir deux fois, quand j’ai aperçu un policier passer devant chez moi. Sourire aux lèvres, la main tendue, et en toute confiance lui lançai un grand bonjour digne de l’enthousiasme d’un enfant qui aurait rencontré un héros (qui de surcroit était ami de son père (‘متاعنا’)) … Malheureusement, ce policier ne voyait pas les choses du même œil, et en réaction à toute ma bonne volonté me flanqua une ‘bonne’ gifle et me posa une question : ‘صحبة جديدة؟’. Ensuite, sans attendre de réponse, il continua son chemin…. je compris, ce jour-là, que tous les policiers n’étaient pas des

Mon Père 1963

amis de mon père; et que certains policiers pouvaient  même être carrément méchants…À mon âge d’alors, et je le pense encore aujourd’hui, j’avais accepté le premier constat mais refusé le deuxième…car, plus tard dans la journée, j’avais attendu mon père à son retour du travail…et comme si c’était hier, je me rappelle qu’il m’avais accompagné au poste de police où ``le méchant, qui m’avait giflé et qui n’était pas ami de mon père, me présenta ses excuses…l'incident fut clos, même si le policer n’avait pas compris l'essentiel, car pour justifier son agressivité, il m’avais reproché de ne pas lui avoir dit que j’étais le fils d’un collègue (قلتلي ولد زميل!)!...Mon Père, qui m’avais promptement rendu justice est resté à jamais mon Héros, …Depuis, j’ai eu la chance de ne plus avoir à faire à un ‘policier méchant’…même quand les policiers matraquaient de l'étudiant sur le campus dans les années 80, je n’ai jamais été frapé…

Jadis Mon Père était policier…du temps où les policiers ne mourraient pas en service…aujourd’hui c’est différent : les policiers, gendarmes, militaires, douaniers, et pompiers
(PGMDP) ont tous compté des morts dans leurs rangs depuis Janvier 2011. Certains ont laissé des enfants en bas âges : eux aussi, comme moi à l’âge de quatre ans, pensaient probablement  que tous les policiers sont amis de leurs pères…. Février 2013, l’agent de Police Lotfi Ezzar a été tué en service par jet de pierres, il a laissé quatre enfants en bas âge et une veuve sans soutien aucun. ‘‘Leïla Haddad, avocate d'un individu suspecté d'avoir tué Lotfi Zar, a expliqué que celui-ci a fourni des efforts physiques inhabituels pour lui ce jour-là, et que l'inspiration du gaz lacrymogène a empiré son état. Le défunt ne faisait pas partie des agents régulièrement déployés pour faire face aux émeutes’’. Décembre 2012, l'agent de la Garde nationale Anis Jelassi, a été tué en service suite à des blessures par balles, il a laissé ses parents, ses sœurs et ses frères sans soutien aucun…Hier encore, deux agents ont été blessés lors d’un échange de tirs...

Le métier de policier, de gendarme, de militaire, de douanier et de pompier est devenu aujourd’hui un métier dangereux. Or, nous avons encore un système de prise en charge qui ne reflète pas cette nouvelle réalité. La famille de l’agent Lotfi Ezzar, celle de l’agent Anis Jelassi, comme bien d’autres dans les mêmes conditions, sont appelés à vivre leurs pires années…leurs chances de s’en sortir sont des plus minces…Même si dans les deux cas le Président de la république et le Chef du gouvernement ont promis une aide matérielle, cela ne change rien au fait que l’État, pour la défense duquel ils ont volontairement donné leur vies, a instantanément laissé leurs familles seules face à leurs sorts …

Il ne faudra surtout pas compter sur ‘les gestes’ humanitaires (nécessairement politisé) des uns et des autres pour assurer une vie digne et même confortables aux familles des policiers, gendarmes, militaire, Douaniers et pompiers (PGMDP) décédés en service. Il ne faudra pas attendre que dans leur malchance certaines familles de PGMDP aient la chance d’attirer l’attention des médias et la sympathie de l’opinion publique pour avoir une aide ponctuelle et bien insuffisante…il faudra plutôt institutionnaliser toute la démarche de prise en charge systématique par l’État des familles des PGMDP décédés en service. L’État devra sans délai pourvoir aux besoins de leurs familles, devenir le tuteur de leurs enfants mineurs, assurer leur éducation, leur santé,…faire tout ce qui est possible pour qu’ils réussissent leur vie. Il faudra mettre en place les institutions et les mécanismes appropriés pour donner des garanties réelles et tangibles, si bien que les PGMDP n’aient aucune crainte de ‘se tuer à la tache’…sinon, tout PGMDP raisonnable pensera d’abord à sa famille avant de penser à son travail…et il ne pourra jamais nous donner le meilleur de lui-même.

Ainsi,  même d’un point de vue égoïste, nous avons tous intérêt à mettre en place un système qui assure ‘les arrières’ des PGMDP…le plus simple serait  (1) de continuer à payer le salaire à la famille du PGMDP décédé en service jusqu’à l’âge théorique de la retraite (incluant les augmentations de salaire dues aux promotions que le PGMDP aurait  normalement pu avoir s’il avait continué sa carrière), (2) acquérir ou bâtir un logement adéquat à sa famille, (3) prendre totalement en charge les dépenses de soins de santé et d’éducation de ses enfants, (4) suivre psychologiquement et guider ses enfants dans leur choix de carrière et leur donner la priorité dans les emplois publics (s’ils le désirent)…en fin faire autant pour eux sinon mieux que ce que leur père (mort pour nous défendre) aurait pu faire…seulement alors nous pouvons nous attendre à avoir le meilleur de nos PGMDP et mériter d’être défendu à mort!